La trajectoire d'une "Com8".
Chaque année, je ne sais quel institut de sondages en manque d’influence nous livre le classement officiel des personnalités les plus appréciées par les Français. Didier MORVILLE alias Joey STARR lui devrait plafonner facilement dans le top de ceux que les Français détestent. Il faut dire que le fils du « neuf-trois »ne laisse personne indifférent et traîne une mauvaise réputation avec son cortège de faits divers et variés (violences, injures, drogues, …).
Il serait dommage de résumer le personnage en oubliant le côté artistique et depuis peu militant. Ce livre est donc le bienvenu pour donner le vrai visage du Jaguar Gorgone (excellente photo de couverture réalisée par son ami Seb JANIAK). Un visage véritablement marqué par une vie bien mouvementée.
Perso, je « kiffe » plus que jamais celui qui a repris, à sa façon, avec ses mots et son flow, le flambeau de la rébellion et du politiquement incorrect. Autre époque (70’s), autre style (punk), les Clash portèrent ce message critique et revendicatif vis-à-vis du système établi parmi d’autres groupes.
La montée en puissance du mouvement hip-hop en France dans les années 90 personnifiée par le Suprême NTM a boosté le monde musical hexagonal sans rien à envier au rap US (Beastie Boys, Public Ennemy, Wu Tang Clan), surtout à sa transformation gangsta ridicule.
A travers « Mauvaise réputation » Joey STARR, aidé du rédacteur en chef de Rock&Folk, a choisi de se confier, de raconter sa vie sans écarter les passages difficiles. Cette bio, justement, n’a rien d’un long fleuve tranquille mais plutôt d’un cocktail détonnant. Jugez plutôt : pour commencer un concentré de rupture sociale (famille monoparentale, maltraitance, absentéisme scolaire, petite délinquance), un cadre difficile (cité de Saint-Denis), vous y ajoutez quelques psychotropes (alcool, cannabis, acides, héroïne…), une pincée de rencontres hors normes (Béatrice DALLE, SOLO du groupe ASSASSIN, etc.) et vous obtenez la trajectoire d’une Com-8 pas comme les autres...
Heureusement, l’humour n’est jamais loin (cf. la c.....e de loup). Résultat, le livre est très plaisant et très facile à lire. Impossible de pardonner les dérapages du rapper, mais il livre avec sincérité et vérité ses succès comme ses galères.
Mauvaise réputation est ponctuée par les différentes étapes du Jaguar Gorgone : enfance, service militaire, graff, rap… elle est aussi complétée par une ménagerie parfois originale avec ses pittbulls ou un singe qui a fait les choux gras des médias.
Cœur du récit et véritable naissance de Joey STARR, la rencontre avec Bruno LOPES (alias Kool SHEN) et la création du Suprême NTM. Les deux compères débutent leur carrière dans un art nouveau et urbain : le graffiti. Ils le pratiquent sans filet de sécurité dans le métro parisien, en particulier sur la ligne 13. Progressivement, ils s’approprient la culture hip-hop en se mettant à la danse pour survivre. Ils finissent par se mettre à chanter dans quelques caves. Le phénomène explose (4 albums plus 1 live) et se dissémine (des centaines de scènes). 
Personne n’a pu échapper aux titres phares des Nique Ta Mère : Laisse pas traîner ton fils, Ma Benz, Pose ton gun, la Fièvre… Personne ne peut oublier les performances scéniques du groupe qui a enflammé la France entière à sa façon et sans cramer de voitures… Bizarrement, le public méconnaîtra longtemps les titres fondamentaux et du groupe : Le Monde de demain, Paris sous les bombes. L’occasion nous est donnée de mieux comprendre l’élaboration de ces textes parfois prémonitoires.
Depuis le Suprême a succombé aux aléas de la vie d’un couple original. Le « clash » les a séparé et défait une aventure furieuse. Chacun a monté son label. Sous le nom de B.O.S.S. (prononcer en anglais) pour Joey, pour poursuivre l’aventure musicale et générer une descendance (Afrojazz, Lord Kocity, …).
Au-delà de l’artistique, les auteurs abordent certains sujets d’actualité pour lesquels le chanteur a décidé de s’investir, de militer. Il y a d’abord le mouvement « Devoir de mémoire » pour lutter contre la tendance de l’état à officialiser une histoire corrigée de la France vis à vis de ses anciennes colonies.
Aux lendemains des émeutes en 2005, il participe à une campagne de sensibilisation des jeunes de banlieue à s’inscrire sur les listes électorales. Devenu papa, le Jaguar aurait-il décidé de se ranger ? Non, plus que jamais il demeure rebelle et enragé… engagé !
Pour les plus récalcitrants à la lecture, je conseille vivement l’écoute de son premier album solo : « Gare au Jaguar ». Bestial et speed à souhait, le Jaguar alterne entre des chroniques d’actu (émeutes en banlieue, expulsions, répression policière, etc.) et ses expériences personnelles (pas la peine de vous faire un dessin). Une version acoustique du livre en fait !
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Mauvaise réputation de Joey STARR et Philippe MANŒUVRE, chez Flammarion.